Rentrer dans une forêt en pleine nuit sans un rayon de lumière est toujours une expérience qui réveille les sens et nous rappelle que nous ne sommes pas dans un environnement que nous maitrisons, singes de savane que nous sommes, mais nous avons trouvé le mirador appuyé a un grand chêne sur lequel nous avons grimpé. En face, un petit chemin qui descend d’une crête boisée, une petite clairière néanmoins encombrée de hautes broussailles, et à gauche un chemin forestier visible sur une centaine de mètres avant de disparaitre au tournant. J’allume bien mes oreilles, mes yeux étant encore assez inutiles a ce stade du petit matin, et essaye de deviner la présence du vandale d’aggrainoirs résident.
Clairement, quelque chose s’agite dans le bois derrière nous, de l’autre cote du grand chêne, mais pas moyen de le voir. Puis, T. voit une grande forme grise traverser le chemin à gauche. « Je n’ai pas pu voir les bois, mais il est très grand de corps ». Je suis bien obligé de lui faire confiance, n’ayant rien vu moi-même. Sauf que… voilà un fantôme gris qui traverse à son tour le chemin pour disparaitre dans le sous-bois. Trop petit pour être le daim, un chevreuil ou un muntjac. Attendons la lumière, pour l’instant il n’y a que les sons : une explosion d’ailes d’un pigeon qui s’envole, un faisan qui pousse un bâillement rauque au réveil, des écureuils qui courent sur les branches, et en arrière-plan, des vagues de feuilles sèches qui tombent ensemble quand il y a un coup de brise, comme une grêle lente.
Voilà que nous entendons un grognement venant des buissons dans la clairière, a 20 mètres devant nous. Nous furetons a la jumelle derrière chaque brindille, mais pas l’ombre d’un poil de la source du bruit. Encore un grognement, mais de daim, point. J’entre dans cet état d’esprit ou on commence à soupçonner que le moment est passé, qu’Artémis n’a pas voulu cette fois-ci, mais il faut se rappeler que rien n’est joué jusqu’à ce qu’on range la carabine. Puis, du coin de l’œil, je vois un éclair de blanc, dans le sous-bois à gauche, tout au bout du chemin. Je lève les jumelles, fixe l’endroit où je crois avoir vu un mouvement, et quelques minutes plus tard, un autre éclair : c’est bien l’oreille d’une chevrette ! Elle est principalement cachée par les branchages et j’ai un peu de mal à la trouver dans la lunette, mais en ce faisant, j’en repère une autre, a découvert sur le chemin celle-là, mais avançant vers moi. T. les repère aussi, confirme que ce sont des chevrettes et confirme que je peux tirer sur l’une ou l’autre si l’occasion se présente. Mais elle se fait attendre, l’occasion ! Enfin, le thorax de la première est découvert, je l’ajuste, mais voilà l’autre qui passe derrière ! J’ai déjà fait cette bêtise-là dans le temps, alors je ne tire pas, j’attends qu’elle passe. Pendant une seconde, je retire mon œil de l’objectif, la chevrette passe, je retrouve le défaut de l’épaule et PAN ! L’une s’effondre, l’autre fuit. Je recharge, mais rien ne bouge. J’attends cinq minutes pour en être sûr, puis je décharge et descends du mirador.
IMAG5365 by pinemarten, on FlickrLa chevrette n’a pas fait un mètre, mais en l’approchant, je vois que j’ai tiré trop en arrière. Première défaillance humaine : dans la seconde ou j’ai retiré mon œil de la lunette, elle a du faire un pas en avant et l’épaule s’est transformée en cuisse, d’où le fait que ma balle a pulvérisé la colonne vertébrale et l’arrière du foie, et heureusement évité les boyaux et l’estomac, mais je ne suis pas fier quand même. Je la sors de sous les branchages et en la retournant, survient la deuxième défaillance humaine : elle a des coucougnettes ! Ce n’est pas une chevrette, c’est un chevrillard. Heureusement, la preuve du délit se mange. Problème réglé, mais deux leçons importantes à apprendre.
2018-11-19_09-54-09 by pinemarten, on FlickrFinalement, une matinée qui finit bien, avec un congélateur plein, et je reste impressionne par l’effet de la balle Degol qui a l’air de s’accommoder pas mal des défaillances du tireur. Un dernier mot pour le Terrible Elan : Joyeux Noel, bon appétit, et reste bien invisible dans ton buisson !
