Ce n’est pas une histoire de chasse banale, une rencontre furtive où les chemins se croisent avec la mort de l’un et la fierté de l’autre.
C’est plutôt une manière de vivre où le temps n’a pas de prise sur l’événement, chaque jour suffit à sa peine.
Certains connaissent mon lieu de prédation, un trou dans une immense forêt à 600m d’altitude ou les grands cervidés sont les maîtres très contestés par les autorités.
Avec T, nous n’avons pas réussi notre chasse de printemps aux Sangliers pourtant, ils sont venus faire des dégâts dans les herbes grasses. Nous avons du aller les chercher en forêt, mais de cela, j’en ai déjà parlé.
Arrivé au rut du Brocard, nous n’avons plus aucun souci depuis sa disparition presque totale. Pourtant nous avons été plusieurs à signaler à l’autorité incontestée, mais contestable, qu’il était urgent de diminuer drastiquement les plans de chasse, surtout avec l’apparition du « Gros Chat ».
Mais rien n’y fit, dans ce beau pays, il y a l’administration forestière qui sait tout sur tout et je te dirai tout mon petit loup et, les autres, les incultes cynégétiques !…
Néanmoins nous avons commencé à observer les naissances et à apercevoir de temps en temps des animaux qu’ils seraient possibles de prélever, bichette faible ou encore daguet sans avenir. Bien souvent, il s’agit d’animaux ayant perdu leur mère pendant l’hiver qui ne fut pas très froid, mais très long et humide.
Arrivé en Août, les affaires deviennent un peu plus sérieuses avec la possibilité de prélever les mâles. Dans les hardes plus ou moins importantes, il y a quelques daguets, un très beau par ici, un mauvais par là, voire une deuxième tête et un fourchu bas.
Fin Août, nous profiterons de l’ouverture des femelles pour effectuer le prélèvement d’un daguet faible, puis c’est tout car nous voulons laisser le brame se mettre en place.
Rapidement des cerfs plus âgés se prennent pour les maîtres de place en promenant leur harde avec fierté. Mais, nous savons que cela ne va pas durer et que les grands voire vieux cerfs calmeront leurs ardeurs naissantes… … …
Les jours commencent à décliner rapidement, la forêt se colore de touches jaune orangé et nous sommes à l’affût.
Quelques minutes avant l’obscurité une jeune biche sort prudemment de sa cachette végétale, elle est suivie vraisemblablement de son premier faon. T qui n’en croit pas ses yeux me dit un peu trop fort, regarde le Cerf, tu le vois ? …
L’angle mort ne me permettait pas de le voir, mais maintenant je le vois, une vieille Cathédrale ! … … …
Par contre la biche, qui a entendu T, regagne l’ombre sécurisante, l’amoureux ne comprend pas et se déplace à l’ombre de l’ombre.
La stutzen est à l’épaule, mais je ne vois pas grand-chose dans la Zeiss 1,5-6x42 dont le grossissement est resté depuis ce matin sur 2,5. Rapidement, je tourne la molette car si je vois encore la cible je ne vois pas le réticule « variant ». Malheureusement je la tournerai du mauvais côté (1,5), la balle frôlera la partie supérieure du cou de la bête qui baissera la tête et plongera immédiatement dans l’obscurité.
Il est vraisemblable que ce Cerf a été tué dans la forêt voisine et qu’il ressemblait comme deux gouttes d’eau à celui-ci (Photo de Wald und Hund).
Nos recherches n’ayant rien donné, il n’y avait en fait qu’un seul blessé, le chasseur dans son intime fierté. Alors je pris quelques jours de congés pour soigner mon âme …
De retour sur les lieux, le brame bat son plein, nous avons changé de lieu. Je suis perché sur une chaise haute (Hochsitz) alors que T reste planqué sous une végétation sécurisante. Alors qu’il correspond avec les cerfs en rut, une biche sort juste en face de moi, elle est suivie de son faon et de sa grande sœur. Puis un magnifique Cerf sort à son tour, celui-là, nous ne le connaissons pas et nous l’appellerons l’Inconnu. Je ne le verrai que brièvement car les animaux échappent à ma vue à causse de l’acensement du terrain. Les minutes s’écoulent doucement dans une soirée sans aucun souffle de vent. Une très jeune biche sort à son tour accompagnée d’un fourchu bas. Celui-là, nous le connaissons et nous attendrons la fin du brame pour essayer de le prélever. Puis une biche sort un peu plus bas avec son faon, immédiatement poursuivie par un autre Cerf … … …
Il fait encore jour, bien jour, et j’hésite, ce Cerf me pose un cas de conscience, est-il vieux ou jeune ? … Il n’est pas très gros, ce qui peut-être un signe d’âge, l’arrière est plus bas que la ligne de dos, un beau fanon est apparent.
Par contre il porte six avec un merrain fort de près d’un mètre et de face, il ne semble pas si vieux ! …
Alors dans le doute, je ne tirerai pas alors qu’il était à une cinquantaine de mètres, j’attendrai que l’Inconnu revienne.
Ce qui ne sera pas le cas et ce qui rendra T un peu furieux.
La semaine suivante je chasserai seul car T est parti pour des raisons professionnelles, les deux premiers soirs, je retournerai sur ma Kanzel préférée où je verrai quelques animaux dont un très beau daguet, mais pas de grand Cerf.
Alors je continuerai sur un autre endroit, là ou j’ai vu l’Inconnu. Une partie de cache-cache s’engage, un cors à corps …
Une harde de biches et faons vient de sortir au plus loin du pré suivie par l’Inconnu, je décide de tenter une approche. Pendant que la harde remonte le long de la forêt, je descends caché partiellement par une haie. Cela semble bien marcher jusqu’au moment où la biche meneuse cherche à rentrer en forêt, mais quelque chose la gêne ? … Elle fait demi-tour en entraînant toute la harde à l’endroit même ou elle était sortie. Je gagnerai rapidement ma petite chaise en bas du pré, dès fois que la harde revienne, mais plus rien …
Donc le lendemain soir, je descendrai directement sur cette petite chaise. La harde sortira avec un cerf de 5/6ème tête, mais pas d’Inconnu. Alors que le soir prend possession de la nuit et que les raires s’activent, j’entends une très grosse voix sur ma droite …
L’Inconnu est là, il trône sur le haut du pré, une vraie image d’Epinal ! …
Il me reste quelques minutes de temps réglementaire, je décide alors de tenter une approche directement vers lui car je suis à bon vent et je pourrai profiter du profil du terrain. Il s’est éloigné afin de rejoindre sa harde, j’arriverai au contact et à le mettre dans ma lunette, mais il sera trop tard.
Conclusion, je retournerai sur le « Hochsitz » et cela ne fait pas trente minutes que je suis assis …
Une harde d’une quinzaine d’animaux vient de sortir tout en bas, elle est accompagnée par le Cerf de 5/6ème tête.
Cette fois ci, je décide de ne pas bouger et d’attendre que la harde remonte le long de la forêt et, c’est ce qu’elle fait.
Et puis d’ailleurs je ne tirerai pas ce cerf, alors ce n’est pas la peine de risquer de tout déranger.
La patience est d’or, la harde est maintenant devant moi à une centaine de mètres partiellement cachée par l’acensement, j’attends … … … L’Inconnu est là, j’entends sa voix, il remonte de la forêt, il sort, je vois ses bois massifs avec deux énormes empaumures. Maintenant il va falloir se décider ! …
Le jeune cerf a été chassé sans résistance et l’Inconnu tourne autour des belles qui lui échappent, je vois, je vois plus, à cause de l’acensement et de la nuit qui s’empare des lieux.
Je me cale sur ma chaise, le mets dans ma lunette, mais il court derrières les Dames, cette scène se répétera plusieurs fois, maintenant … … …
J’appuie sur la queue de détente dorée de la Mannlicher, mais rien ne se produit ? … J’ai bien trois cartouches de 9,3x62 dans le chargeur, mais rien dans la chambre ! …
Doucement, tout doucement une cartouche monte, le verrou est maintenant fermé et les scènes recommencent.
Beaucoup d’animaux ont sauté derrière une haie, mais il revient chercher les retardataires, l’amour rend fou …
Je suis au bout du bout, du temps réglementaire, du manque de luminosité, de ma fatigue, de mes désirs …
Je suis sûr que la « Degol 250gn » rechargée a touché l’Inconnu, mais il est parti avec le reste de la harde.
L’inquiétude me gagne, néanmoins je reste calme, la lampe de poche a remplacé l’arme et les jumelles. Je pars à la recherche de la bête voire de ses indices qui pourraient m’informer. Il est là sans vie, je suis heureux et triste à la fois, le remord d’un crime passionnel …
